Synonyme de risques et de difficultés, une crise peut également générer dynamisme et inventivité. Face à la Covid-19, la communauté scientifique a réussi à mobiliser la recherche et les financements nécessaires pour mettre au point un nouveau vaccin en un temps record. Le même phénomène s’est produit dans les entreprises, qui ont su s’adapter de manière incroyablement rapide. Laurent Faibis, président de Xerfi, nous éclaire sur leur transformation.

La crise sanitaire a-t-elle accéléré la transformation des entreprises ?

Laurent Faibis : La crise est pour les entreprises un laboratoire d’idées contraint et forcé. Elle est ainsi un énorme accélérateur de l’innovation économique, financière et managériale. Face à une situation totalement inédite, les entreprises ont dû très vite modifier leur comportement, adapter leur offre et mobiliser des financements pour survivre. Et c’est toute leur chaîne de valeur qui a été impactée : l’approvisionnement, la logistique, l’organisation, la conception des produits ou services, le marketing, le commercial et la distribution. Chez Xerfi, par exemple, du jour au lendemain, nombre de nos travaux sectoriels se sont retrouvés obsolètes. Il a fallu être créatifs dans l’urgence, mettre en place des enquêtes pour remplacer l‘appareil statistique national totalement en panne, réinventer nos produits. Dans le même temps, nous avons dû réorganiser nos activités commerciales : localiser nos clients en télétravail, développer d’autres modes de communication. Les sociétés qui ont bien surmonté la crise sont celles qui se sont réinventées très vite, notamment sur le travail à distance. Les bouleversements ont été spectaculaires, mais nous avons été nous-mêmes heureusement surpris par la capacité d’adaptation de nos collaborateurs.

Quel est l’impact de cette crise sur la relation au travail et les rapports sociaux ?

L.F. : Avec la mise en place du télétravail, les rapports sociaux dans l’entreprise ont parfois évolué davantage au cours des 18 derniers mois qu’au cours des 18 années précédentes ! Pour les dirigeants, la première étape a été de s’adapter à la situation en distanciel. C’est plus facile pour le travail procédural, à condition d‘avoir les équipements informatiques indispensables. La seconde phase consiste à apprendre à travailler dans un contexte de pandémie. Nous passons désormais à un mode de travail hybride, mêlant présentiel et distanciel. Cela conduit à une réorganisation de l’espace de travail au sein de l’entreprise. Toutefois, réorganiser ne veut pas dire économiser les mètres carrés parce que moins de collaborateurs sont présents en même temps. Quand les collaborateurs sont dans l’entreprise, ils ont besoin de véritables échanges, les discussions informelles et la machine à café deviennent cent fois plus importantes qu’avant. Il est alors indispensable de créer des situations et des espaces de convivialité. Et il incombe aux managers de générer de l’enthousiasme et une vraie dynamique au sein de leurs équipes pour que les idées se transforment en actions portées par le collectif, ce qui est très difficile avec la visio, qui ne peut pas se substituer aux contacts directs. Ainsi, les managers doivent être capables d’innover pour maintenir la dynamique de l’entreprise, lutter contre l’ennui et l’isolement, les risques de décrochage. Et puis, il faut faire évoluer la culture d’entreprise, les compétences, le partage des connaissances et la formation. Et maintenir la motivation !

Et qu’en est-il de la relation commerciale ?

L.F. : Une digitalisation plus poussée permet de simplifier beaucoup de choses, mais dans la relation commerciale il est également essentiel de conserver des contacts directs et conviviaux. Dans un échange à distance, on perd ce qu’exprime le langage non verbal et la complicité qui se crée en face-à-face. Oui, la signature électronique à distance d’un contrat permet de gagner un temps précieux, mais que devient la tradition de célébrer autour d’une bouteille de champagne l’aboutissement de plusieurs mois de négociation ? Nous devrons rapidement trouver des méthodes de compensation.

De même, si la vente en ligne s’est développée, le magasin n’est pas pour autant condamné à disparaître. Je vois plutôt une redéfinition des rôles. Le magasin doit devenir un lieu de contact incomparable. Ce sera de plus en plus un lieu agréable, de plaisir d’achat et de conseil. Il ne servira plus à stocker de la marchandise qui sera entreposée ailleurs, et le client pourra se faire livrer directement chez lui dans la journée. Certains proposent d’ailleurs de transformer les parkings souterrains des grandes villes en entrepôts commerciaux. Il faut retrouver le sens étymologique et littéraire du mot commerce : le sens de la communication, de l’échange de pensées, de la bonne compagnie et des rapports amicaux.

Le monde de l’entreprise et du commerce ne peut se résoudre à laisser se distendre les rapports humains. Le digital est certes incontournable, indispensable. Mais rien ne remplacera le rapport humain. La technologie va se banaliser, et l’être humain, sa créativité, son intelligence, ses qualités relationnelles vont revenir au centre du jeu. L’intelligence artificielle est ... artificielle. Ce n’est qu’une prothèse au service des femmes et des hommes.

Nous contacter