Les start-up technologiques sont-elles si courtisées que leurs recrutements ne sont que de pures formalités ? La réalité est beaucoup moins rose et beaucoup plus complexe. Décryptage des spécificités et des process de recrutements stratégiques dans les entreprises innovantes, par Karine Lignel, Présidente de Crédit Mutuel Innovation et Olivier Safir, co-dirigeant du cabinet de recrutement Pact & Partners.

Quels sont les enjeux spécifiques aux entreprises innovantes en matière de recrutement ?

Karine Lignel : Comme toutes les entreprises technologiques, elles sont confrontées à la rareté des profils disponibles sur le marché. Aujourd’hui, on ne trouve, par exemple, plus de data scientists. Même si les entreprises innovantes dénichent la perle rare d’un point de vue des compétences professionnelles et qu’elles ont les moyens de la recruter, la nouvelle recrue doit également faire preuve de loyauté et d’une capacité de flexibilité hors nomes.

Par définition, les start-up technologiques sont en effet des entreprises à risque, qui connaissent des évolutions de business model et de produits permanentes, ainsi que des périodes de turbulences. Tout le monde n’est pas capable de s’épanouir et de tenir la route dans ce contexte d’instabilité structurelle.

Ce tamis de savoir-être « start-up compatible » réduit d’autant plus la marge de manœuvre des entreprises innovantes. Elles cherchent des moutons à 5 pattes : des ultra-spécialistes ou généralistes polyvalents, alliant autonomie et flexibilité, prêts à quitter le confort des grands groupes pour rejoindre l’aventure d’une start-up.

Comment se gèrent ces recrutements ?

Olivier Safir : Le processus de recrutement pour les start-up est complexe car les profils pertinents sont les plus demandés et les plus rares. Étant rarement en recherche active, ils ne sont pas spontanément attirés par ce qui leur semble être un mouvement latéral vers un poste équivalent dans une société plus risquée que celle qui les emploie. Notre action est donc double. Nous devons convaincre l'employeur qu'il est sur un marché concurrentiel dans lequel l'expert « parfait » a du choix. Côté candidats, il est possible qu’ils restent circonspects face aux discours sur la technologie disruptive, le marché potentiel sans limite, le potentiel de carrière infini... Par ailleurs, le «fit» de personnalité ou de culture, entre le dirigeant et le candidat, reste un élément déterminant. Encore faut-il que l'employeur exprime et objective ce qu'il recherche, au besoin par la médiation d'un conseil extérieur. Notre rôle, en tant que cabinet de recrutement, est donc de faire preuve de conviction, d’élaborer une stratégie quasi-marketing de captation des candidats, de nous doter d'outils, de preuves et de témoignages, pour les convaincre de la qualité du projet. Recruter dans un environnement innovant, notamment celui des start-up, exige de la créativité, de l'obstination et de la pédagogie.

Les outils digitaux ont-ils leur place dans ce type de recrutement ?

Olivier Safir : Depuis 30 ans, notre cabinet Pact & Partners accompagne les entrepreneurs de sociétés innovantes et recrute leurs dirigeants. Force est de constater que leur environnement exige une approche de « risk manager » pour leurs recrutements. Je vois une corrélation positive directe entre le caractère innovant d'une entreprise et l'impérieuse nécessité de recourir à un recruteur humain. Dans un monde globalisé où la « Linkedinisation » des recrutements est devenue monnaie courante, je suis convaincu que les recherches d’experts pour les start-up doivent faire largement appel à l'humain. À ce jour, l'intelligence humaine dépasse encore l'intelligence artificielle, notamment lorsqu'il s'agit d'appréhender la complexité de la situation et de l'environnement d'une start-up, et de cibler très finement les meilleurs profils. Seul l'humain peut communiquer de façon sensible avec la personne contactée, l'accompagner, la préparer à la rencontre avec l'entrepreneur et optimiser leur premier échange. Le « digital » est certainement un horizon excitant pour l'avenir du recrutement, mais en matière de maïeutique, les algorithmes demeurent moins efficients qu'un professionnel aguerri et passionné !

Comment un investisseur peut-il accompagner ce process de recrutement ?

Karine Lignel : Notre rôle de conseil nous conduit en premier lieu à susciter des recrutements, voire même à conditionner la deuxième tranche de notre financement à l’embauche de postes-clés. Généralement de profils scientifiques, les dirigeants de start-up technologiques négligent souvent d’étoffer leur équipe avec des profils non-techniques (DAF, RH, Directeur de l’industrialisation...). Et souvent, ils le font trop tard. Notre expérience dans l’accompagnement de nombreuses entreprises innovantes nous a permis d’identifier les ressources-clés nécessaires à ce type de structure et surtout d’identifier le bon timing pour les intégrer. A la demande du dirigeant, nous pouvons être amenés à rencontrer les candidats pour apporter un œil extérieur sur leur compatibilité avec l’entreprise et l’équipe en place.

Sur le plan technique, nous pouvons aussi aider le dirigeant à mettre en place les mécanismes de fidélisation, comme par exemple la distribution sous conditions de BSPCE (bons de souscription de part de créateur d’entreprise).

Nous nous attachons également à attirer l’attention du dirigeant sur un autre type de « recrutement » stratégique : celui d’administrateurs indépendants. Ces derniers apportent une compréhension du marché, des difficultés de commercialisation, des impératifs réglementaires, que ni les fondateurs, ni les financiers, ne peuvent apporter avec un tel niveau d'espérance.

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